Lettre d'information n°16
Une nouvelle alerte au sujet du barrage des Collanges...
LETTRES D'INFORMATIONBARRAGE
FAIRE BARRAGE...
Petit préambule sous forme de rappel historique
Le barrage est construit au début des années 1980, malgré une opposition locale vite étouffée. Il a été pensé essentiellement pour l’irrigation agricole, avec un dimensionnement à la mesure des volumes nécessaires à l’âge d’or de la culture de la pêche, or cette culture était déjà en crise, avec ses primes à l’arrachage. Une autre vocation était le tourisme, en favorisant nautisme et baignade…
Implanté sur une ancienne décharge d’ordures ménagères – et aux dires de nombreux habitants contenant des fûts provenant des industries locales – le barrage est une véritable bombe à retardement, tant pour la retenue que pour l’Eyrieux aval !
De 83 à fin 88, malgré notre opposition, la retenue a absorbé la totalité des eaux urbaines et industrielles non traitées de l’agglomération du Cheylard. Le plan d’eau sert ainsi de bassin de décantation des eaux usées et a accumulé une telle quantité de nutriments dans les sédiments que la dégradation de la qualité de l’eau est désormais forte et durable. De fait en moins de 10 ans il a battu tous les records d’eutrophisation et les phosphores des sédiments sont relargués tous les étés lorsque les températures augmentent : ainsi s’explique le développement très important des algues vertes en aval.
Dès la première année le préfet a pris un arrêté interdisant la baignade et les activités de nautisme (normalement pour 3 ans mais toujours en cours) du fait des teneurs anormalement élevées en polluants, notamment les métaux lourds présents dans la retenue. Plus récemment un nouvel arrêté préfectoral à cause des polychlorobiphényles (les fameux PCB) des polluants organiques persistants PCB, qui interdit la consommation d’anguilles, de perches, de barbeaux et de brochets (arrêté préfectoral 2010-75-15 2011-062-0004)
Ce barrage, obstacle infranchissable, empêche non seulement la migration des espèces piscicoles, mais en plus il pose un autre problème bien connu : il bloque sables, galets et graviers arrivant de l’amont. La retenue se comble jour après jour et elle a aujourd’hui perdu près de 50 % de sa capacité de stockage d’eau. Pire encore : ces matériaux font maintenant défaut à l’aval, chaque crue emporte plus bas ceux de l’aval et ceux de l’amont n’arrivent plus pour les remplacer.
Tout cela aggrave la détérioration de la qualité de l’eau ; ces matériaux en effet hébergent des bactéries qui filtrent et nettoient l’eau qui percole. Disparaissent ainsi les habitats de reproduction ou d’alimentation de nombre d’espèces végétales et animales en aval.
Dans la basse vallée une incision importante du lit de l’Eyrieux a lieu des et des surfaces importantes de terres agricoles disparaissent à chaque crue.
Actuellement, vu la grande surface du lac, on peut calculer qu’en trois mois le volume d’eau qui s’évapore correspond peu ou prou à ce qui est prélevé pour l’irrigation ! On conserve donc un ouvrage qui perd plus qu’il ne donne. Cherchez l’erreur !
La production hydroélectrique est certes bien réelle, mais les dimensions du barrage sont telles, qu’entre frais de surveillance et maintenance, on produit à perte !
Le cumul des désordres majeurs posés par ce barrage à l’ensemble de la vallée, a conduit depuis toujours notre association à plaider auprès des instances pour un effacement de cet ouvrage, quitte à ce que d’autres ouvrages fonctionnels et n’entraînant pas de conséquences néfastes pour l’aval le remplacent.
Étant donné la gestion de ce dossier par les différentes hautes administrations de l’Etat et du département et constatant que dans ce cadre l’histoire nous a constamment donné raison, nous nous mobilisons encore une fois.
Que l’histoire nous donne raison ne signifie pas que les décisions prises par les décideurs (dont nous ne faisons pas partie) ont été celles que nous aurions souhaitées, bien au contraire ! Nous avons parfois obtenu quelques satisfactions, améliorant la situation mais elles s’apparentent plus à un pansement sur une jambe de bois qu’un début de solution !
Les raisons de notre mobilisation
Nous avons été informés par la FRAPNA, quelques jours avant notre Conseil d’Administration du 16 septembre, d’un arrêté préfectoral pris cet été autorisant l’expérimentation de l’ouverture de la vanne de fond pour une opération test de transit sédimentaire sur le barrage des Collanges.
Nous aurions pu nous féliciter de la volonté effective de tester une restauration du transit sédimentaire de l’Eyrieux, transit interrompu par cet ouvrage qui, répétons-le, génère des dysfonctionnements majeurs en aval.
Cependant nous avons relevé plusieurs points qui nous font craindre des désordres gravissimes pour la biodiversité, et ce malgré des efforts pour trouver des protocoles devant limiter les effets négatifs, sans que nous ayons la moindre garantie sur l’efficacité et le contrôle de leur mise en œuvre. En particulier dans ce protocole il y a des enjeux non ciblés par les mesures « ERC » (Eviter Réduire Compenser). Enfin une autre inquiétude : la santé des personnes, en particulier de celles qui boivent l’eau en aval.
Nous avons donc écrit suite à notre CA du 16 septembre à la Préfète de l’Ardèche lui demandant de suspendre l'arrêté en question dans le cadre d’un recours gracieux.
Voici la liste des éléments problématiques que nous avons relevés :
• La période de test et surtout son protocole induiront inévitablement un colmatage des frayères. Bien que l’arrêté préfectoral impose des mesures correctives de vigilance sur les matières en suspension et la teneur en dioxygène, nous restons inquiets quant à leur suivi et leur mise en œuvre, vu le manque de moyens alloués à l’OFB.
Quant aux mesures correctives de décolmatage nous ne croyons pas un instant que toutes les frayères seront correctement décolmatées. De plus, la durée de l’autorisation accordée pourra entraîner la destruction de frayères actives et de pontes déjà faites par l’espèce truite commune.
• Nous pensons que les impacts sont probablement sous évalués en termes de surface de frayères et de suivi aval. En effet, selon les conditions du régime hydrologique dont personne ne peut préjuger pendant l’opération, un linéaire plus important de suivi eût été judicieux.
• Autre point le castor est une espèce prise en compte mais pas du tout la loutre pourtant présente tant dans la retenue qu’en aval immédiat. Cet oubli constitue un manquement manifeste.
• Absence totale de la prise en compte des invertébrés, alors que le linéaire aval abrite notamment deux espèces d’odonates patrimoniales Oxygastra curtisii et Macromia splendens. Cette dernière fait partie des espèces qui ont la plus faible répartition mondiale et l’Eyrieux est une des rares rivières au monde à l’héberger. Une fois encore, tel qu’il est, le protocole nous fait craindre que le maintien du bon état de ces populations ne soit pas assuré.
• Destruction pure et simple des espèces animales présentes dans la retenue ne pouvant migrer ! Par exemple les anodontes, sorte de moules d'eau douce (voir photo) qui bien que filtrant l'eau vaillamment dans la mesure de leurs moyens vont mourir exondées ; pour les poissons, pas de pêche de sauvetage prévue, juste le financement d'un ré-empoissonnement ultérieur...
• Absence de prélèvements et suivis des eaux d’essorage afin de prévenir toute pollution sévère, notamment sur la zone de l’ancienne décharge noyée dans la retenue.
• Enfin d’un point de vue démocratique nous comprenons que notre association ne soit pas informée malgré notre expertise de ce secteur, mais nous ne comprenons pas que seule la fédération de pêche soit en copie alors que la FRAPNA, la LPO, et le GRPLS (associations agrées au titre de la protection de la nature et de l’environnement) ne soient pas en copie de l’AP au vu des enjeux évoqués et de leurs expertises.
Tels sont les éléments envoyés à la préfète, pour lui signifier notre vigilance et pour qu’elle réalise qu’il n’y a pas que la fédération de pêche qui se mobilise. La FRAPNA en a d’ailleurs fait autant.
Sachant que la Préfète n’a apporté aucune réponse à la Fédération de pêche (ce qui signifie qu’elle ne donnera pas de suite favorable à la demande de recours gracieux), nous avons choisi de soutenir la Fédération de pêche de l’Ardèche qui avait préparé un recours en référé, procédure différente, puisqu’il faut démontrer un vice de forme.
Premier point de contestation : les techniciens de la Fédération de pêche ont répertorié 6000 m² de frayères de truites et non 100 m² comme annoncé dans l’arrêté préfectoral. Cela donne une base objective à la demande de suspension.
Le deuxième point de contestation est relatif à l’absence de précaution prise pour le contrôle de la qualité des eaux pouvant ré-essorer de l’ancienne décharge du Cheylard. Tous ceux qui ont pu discuter avec des anciens ont entendu des déclarations édifiantes. Peut-être n’y a-t-il plus rien, peut-être y a-t-il encore une bombe à retardement que la vidange de ce barrage pourrait déclencher - une première en plus de 30 ans. Ce risque que personne ne peut nier doit être pris en compte et ce au titre du principe de précaution.
De manière plus générale, cet arrêté démontre que les plus hautes administrations de notre département font fi de la concertation et des principes démocratiques. Nous avons fait partie du comité de suivi d’échanges qui devaient « coconstruire » la solution pour ce barrage, et qui se révèle au final être une vaste supercherie. Nous connaissions déjà la position du département qui ignore tous les partenaires hormis la Chambre d’agriculture et qui tient plus de l’idéologie que d’une quelconque approche pragmatique, nous connaissons désormais celle des services de l’État.
Un passage de cet Arrêté indique aussi que cette opération test servira à déterminer comment positionner et faire fonctionner les 4 vannes de fond pour assurer le transit sédimentaire dans le futur. C’est donc affirmer que cet ouvrage sera maintenu et que la solution définitive est déjà retenue par la haute administration ; c’est aussi signifier que la concertation élargie et citoyenne affichée depuis deux ans était purement formelle et par voie de conséquence une pure mascarade ! A aucun moment nous n’avons été conviés à une réunion nous permettant d’apprécier cette solution comme la bonne. De même nous n’avons jamais été invités à une forme de consultation et encore moins de votation…
Les riverains habitant l’aval n’ont pas été prévenus, des pancartes ont été mises au niveau de la retenue 4 jours seulement avant le début de l’opération et peut-être seulement parce que nous avons fait savoir que contrairement à ce qui est indiqué dans l’Arrêté Préfectoral ce n’était pas fait à six jours du démarrage ! Au vu des échanges avec certains riverains nous avons le sentiment d’être la structure qui a la plus grande réactivité pour leur donner des précisions sur ce qui se passe : ce qui est anormal, car ce n’est pas une mission pour des bénévoles, alors que nombre d’administrations ou collectivités informées ont des salariés qui devraient au moins transmettre cette information.
Nous tenions à vous informer de la situation, de notre positionnement et de notre investissement sans faille sur ce dossier. Nous restons à votre disposition pour échanger à ce sujet
Arrêté préfectoral dont il est question : n° 07-2024-08-09-00004